Nous n'allons rien vous apprendre si vous on vous dit que le samedi 25 Avril 2015, 11h50 heure locale, la terre a tremblé ici au Népal.
Le bilan dépasse les 7000 morts, les 14000 blessés ainsi qu'un nombre important de maisons/immeubles détruits ou partiellement détruits.
Nous, nous étions à environ 40km de l'épicentre au moment de la premier secousse.
Nous sommes arrivés au Népal le 18 Avril avec pour ambition de faire le trek du Manaslu suivi du trek des Annapurnas. 20 jours de marche autour de sommets de plus de 8000m, 2 passages à plus de 5000m, des paysages magnifiques, mais en aucun cas connus pour être dangereux.
Le Népal, dans notre périple, est un peu un voyage dans le voyage. En effet, nous faisons une sorte d'aller retour depuis Kuala Lumpur pour visiter cet attrayant pays.
Mon frère, Brice nous a rejoint pour cet partie du voyage.
Les deux premiers jours à Katmandou nous ont permis de visiter la ville, mais surtout de trouver une agence et un guide.
En effet, suivant le lieu de trek, il faut (législation Népalaise) un guide et un ou plusieurs permis.
Ce fut 3 permis (à 90€/pers au total) + un guide pour le trek du Manaslu, que nous devions quitté au début du trek des Annapurnas.
Enfin voila, ce fut l'envie initiale, mais comme vous le savez ça ne s'est pas déroulé comme prévu...
Après l'article Libération paru lundi ainsi que la revu presse RTL parue mardi (à partir de 3'50), voici ci-dessous le récit jour par jour de Bénédicte comme elle l'a vécu, illustré de nos photos.
Si je (Guillaume) l'avais raconté, cela aurait été sûrement un peu différent, mais ce récit relate très bien les faits.
Posez vous, prenez 15min de votre temps, c'est long mais bien écrit.
Le bilan dépasse les 7000 morts, les 14000 blessés ainsi qu'un nombre important de maisons/immeubles détruits ou partiellement détruits.
Nous, nous étions à environ 40km de l'épicentre au moment de la premier secousse.
Nous sommes arrivés au Népal le 18 Avril avec pour ambition de faire le trek du Manaslu suivi du trek des Annapurnas. 20 jours de marche autour de sommets de plus de 8000m, 2 passages à plus de 5000m, des paysages magnifiques, mais en aucun cas connus pour être dangereux.
Le Népal, dans notre périple, est un peu un voyage dans le voyage. En effet, nous faisons une sorte d'aller retour depuis Kuala Lumpur pour visiter cet attrayant pays.
Mon frère, Brice nous a rejoint pour cet partie du voyage.
Les deux premiers jours à Katmandou nous ont permis de visiter la ville, mais surtout de trouver une agence et un guide.
En effet, suivant le lieu de trek, il faut (législation Népalaise) un guide et un ou plusieurs permis.
Ce fut 3 permis (à 90€/pers au total) + un guide pour le trek du Manaslu, que nous devions quitté au début du trek des Annapurnas.
Enfin voila, ce fut l'envie initiale, mais comme vous le savez ça ne s'est pas déroulé comme prévu...
Après l'article Libération paru lundi ainsi que la revu presse RTL parue mardi (à partir de 3'50), voici ci-dessous le récit jour par jour de Bénédicte comme elle l'a vécu, illustré de nos photos.
Si je (Guillaume) l'avais raconté, cela aurait été sûrement un peu différent, mais ce récit relate très bien les faits.
Posez vous, prenez 15min de votre temps, c'est long mais bien écrit.
Jour 1 : Mardi 21 Avril - Katmandou => Arughat
Afin d’atteindre notre première étape, nous avons dû rejoindre Arughat, une petite bourgade à 160 km de Katmandou. Mais loin d’être un trajet en bus classique, ce trajet s’est avéré une véritable aventure à part entière. En bus local nous avons en effet mis 9h tellement la route était « naturellement » défoncée. C’était en faite plus un chemin qu’une route et nous avons eu quelques frayeurs. La « route » est sur une bonne partie à flan de montagne et pile-poil de la largeur du bus. Le problème c’est que d’un côté c’est le vide qui nous guettait, et un coup de volant trop violent aurait pu nous y conduire. Nous avons d'ailleurs tous les trois pensé secrètement qu’en cas d’accident, il nous serait fatal, et d’autant plus que vu comment notre bus (comme les autres) était en surnombre, nous ne pourrions pas nous en extirper à temps. Nous étions en effet trois pour deux sièges en général. Certains étaient aussi dans l’allée centrale et d’autres sur le toit…. Heureusement le chauffeur avait l’habitude. En tout cas inutile de dire que lors des croisements de bus (et il y en a eu plusieurs), c’était du sport !
Jour 2 : Mercredi 22 Avril - Arughat (608 m.) => Machhakhola (869 m.)
Ça y est, aujourd’hui on a pu enfin chausser nos chaussures de randonnée et pour une première journée, on n’a pas vraiment pris le temps de s’échauffer ! On a marché 7h et d’un sacré bon pas. Et si à première vue, on n’a pas gravi des sommets, on a quand même passé une bonne partie de notre journée à monter puis redescendre. En tout cas, ça fait tellement de bien d’être enfin au cœur de la nature ! Et les paysages sont vraiment magnifiques. Nous avons longé des champs de riz d’un vert flamboyant, traversé des ponts suspendus, vu des chutes d’eau de folie et tout ça sous le soleil en plus. Une très belle mise en bouche. On devrait se régaler !
Jour 3 : Jeudi 23 Avril - Macchakhola (869 m.) => Jagat (1 340 m.)
Aujourd’hui grand beau temps à nouveau. Les paysages m’ont encore plus émerveillé qu’hier car nous sommes maintenant au pied des montagnes. Et même si on est déjà ce soir à plus de 1 000 mètres d’altitude, elles paraissent si hautes et si massives. C’est impressionnant. Nous avons aussi vu au loin nos premiers monts enneigés et ça m’a fait un peu froid dans le dos de me dire que dans quelques jours nous serons à cette hauteur là !
En attendant nous avons bien profité du soleil qui nous chauffait les os et nous avons eu le droit à une petite sieste après le déjeuner ! ça c’est une vraie journée de randonnée comme je les aime. Notre guide nous presse souvent sur les temps de pause, mais je crois qu’il commence à comprendre qu’on a l’intention de prendre notre temps !
En attendant nous avons bien profité du soleil qui nous chauffait les os et nous avons eu le droit à une petite sieste après le déjeuner ! ça c’est une vraie journée de randonnée comme je les aime. Notre guide nous presse souvent sur les temps de pause, mais je crois qu’il commence à comprendre qu’on a l’intention de prendre notre temps !
Aujourd’hui nous avons aussi appris que face à un âne il vaut mieux lui laisser le passage et se mettre plutôt côté montagne que côté vide. Car ils n’ont aucun égard pour nous et un coup de hanche peut vite vous propulser bien loin.
Nous avons aussi réalisé que la conversation avec notre guide n’allait pas toujours être simple, car nous n’avons clairement pas le même accent. A un moment il a voulu nous dire le mot « problem », mais nous, nous avons tous les trois compris « baraproblem ». Il s’étonnait qu’on ne comprenne pas et nous avons dû lui demander d’épeler le mot pour comprendre. En tout cas, c'était cocasse et il nous a fait bien rire !
A nouveau, nous n’avons pas grimpé des sommets, mais on a comme hier pas mal monté et redescendu. On ne s’est donc pas fait prier pour engloutir notre plat de pâtes journalier et aller se glisser sous la couette.
Jour 4 : Vendredi 24 Avril - Jagat ( 1 340 m.) => Deng (1 860 m.)
Aujourd’hui nous avons continué notre ascension tranquillement et toujours sous le soleil en continuant à monter puis redescendre. Je me demande comment à ce rythme là on va atteindre les 5100 m du Larke Pase (le point le plus haut de notre circuit).
La grande surprise de la journée c’est qu’on a croisé sur le bas côté des plans de marijuana à n’en plus finir. Ici ça pousse tout seul, telle de la mauvaise herbe. Mais rassurez-vous on est des randonneurs clean et on ne s’est pas baissé pour en ramasser un petit brin.
Autre anecdote, culinaire cette fois. Ce matin j’ai voulu tenté le porridge népalais en me disant que ça me tiendrait plus au corps qu’un pancake au chocolat (on a en effet un menu super large dans les refuges népalais, c’est assez bluffant vu l’accessibilité des refuges). Mais ce fut une erreur, car le Champa Porridge s’est avéré une soupe gluante et marronnasse à un goût indéfinissable. Et même avec du sucre et du miel, ça a eu dû mal à passer. J’ai attendu avec encore plus d’ardeur ma plâtré de nouille du midi ! Demain matin, je ferai mon choix en fonction de mes papilles et non de mon cerveau ! Car la bouffe en rando c’est important !! : ) Faut pas déconner avec ça !!
Le soir en arrivant au refuge, on a constaté avec joie qu’à 1 860 mètres, il n’y a plus de moustique mais que les mouches, elles, résistent encore malheureusement. On a aussi bien senti qu’on avait chuté en température et on a commencé à se dire que là-haut, il allait vraiment faire froid. Notre guide nous a dit qu’au plus haut point il pouvait faire jusqu’à -25°C. Oups on ne pensait pas qu’il ferait si froid…. Heureusement, en marchant on se réchauffe un peu. Et puis notre guide nous a assuré qu’il ne fallait pas qu’on s’inquiète. Il a par contre enchaîné en nous demandant si on avait des crampons. Là je ne me suis pas dit oups mais QUOI ???!! On avait demandé à notre agence avant de partir ce qu’on devait emmener comme matériel, et s’ils ont mentionné les gants, bonnets, duvets etc., ils ont oublié de nous parler des crampons !! Notre guide nous a immédiatement redit, « But don’t worry ». Ça semble être son leitmotiv, mais moi ça ne m’a pas du tout rassuré cette fois-ci….
En tout cas, on s’est encore émerveillé par la beauté des montagnes majestueuses qui nous entourent. Au pied de ces sommets de plus de 7 000 mètres, on se sent comme des fourmis. Et je dois avouer que si j’ai adoré randonner dans les Alpes et Pyrénées, le Népal c’est hors catégorie tellement c’est grandiose.
Jour 5 : Samedi 25 Avril - Deng (1860 m.) => Namrung (2 630 m.)
Ce matin, la brume est de la partie et on s’est dit qu’il valait mieux marcher vite si on voulait éviter la pluie. Au final, il n’a pas plu. A la place, quelque chose auquel on n’aurait jamais pu penser est arrivée. Quelque chose qui allait chambouler nos plans comme nos esprits. Qui allait renverser notre champ des priorités. Un événement si inconcevable pour nous, que même moi, grande angoissée, je n’y avais jamais songé. J'avais pensé aux chaussures qui craquent, au froid qui agresse, au genou qui flanche, à des chemins verglacés etc. Mais je n'aurais jamais pu imaginer un tremblement de terre d’une magnitude de 7,9 sur l’échelle de Richter.
C’est arrivé juste avant midi. Nous venions tout juste d’atteindre le restaurant de l’étape et de commander nos plats de pâtes quotidiens. Nous discutions gaiement quand tout d’un coup, nous avons senti le sol trembler et pas qu’un peu. Au début on n’a pas du tout, mais pas du tout, réalisé que c’était un tremblement de terre et on s’est demandé ce qui pouvait bien faire trembler le sol à ce point là. On a pensé à un marteau piqueur ou à une pelleteuse. Guillaume a même pensé une fraction de seconde à un train, car le tremblement était un peu similaire à celui causé par un métro. Mais rapidement, après quelques secondes de tremblement, on n’a plus eu le loisir de se demander le pourquoi du comment, car des pierres se sont mises à tomber de toute part. Nous étions dans une vallée assez étroite, « protégée » d’un côté par une forêt mais d’un côté seulement. De l’autre côté, une falaise abrupte nous surplombait et de nombreuses pierres tombaient directement du sommet. Tout le monde s’est mis à courir dans tous les sens. Nous même nous ne savions pas où aller pour nous protéger. J’ai entendu une femme crier et j’ai eu peur qu’elle ait été touchée par une pierre. « Heureusement » elle criait de peur et non de douleur. Nous étions ensemble et nous sommes donc restés groupés tous les trois. Heureusement, car moi j’étais incapable de réfléchir et de réagir. Mon cerveau était comme paralysé. Tout allait trop vite, les pierres comme les gens. J’étais complètement perdue. J’ai suivi Guillaume et son frère et nous nous sommes positionnés au milieu de la vallée de façon à être hors de portée des arbres qui se brisaient tels des crayons de papier et des pierres qui pourraient ricocher sur nous. Heureusement la vallée a été au final suffisamment large et le restaurant suffisamment solide. Personne n’a été blessé. Une fois que les chutes de pierre ont cessé, on est tous resté interdits pendant quelques minutes et on s’est laissé envahir par un énorme nuage de poussière.
NB : ce sont des nuages de poussière sur les deux photos ci-dessous.
Que venait-il de se passer ? Était-ce un tremblement de terre ? Ce mot n’était tellement pas dans notre univers des possibles que nous avons vraiment mis du temps à le verbaliser. Notre guide semblait aussi désemparé que nous. Il n’avait jamais vécu ça et n’avait aucune réponse à nos questions. Une fois « remis » de nos frayeurs, nous ne savions pas quoi en penser. J’avais en tête quelques vagues souvenirs de mes cours de géologie et pensais déjà aux répliques qui étaient normalement très probable. Mais qui contacter juste après un tel événement pour savoir quoi faire et les risques ? Pouvait-on continuer à marcher comme si de rien n’était ? Nous ne savions même pas vraiment ce qui venait de se passer ni son ampleur. Nous savions juste qu’en cas de réplique, l’endroit où nous étions n’était pas du tout sécure, surtout la nuit. Il nous faudrait donc sûrement continuer à marcher après le déjeuner. En attendant, nous scrutions les environs à la recherche d’un meilleur endroit pour se protéger si le sol bougeait à nouveau. Mais il n’y en avait pas. En cas de nouvelle secousse, le mieux était comme la première fois de se mettre au milieu pour être loin des arbres et des pierres, et voir les projectiles arriver. Trente minutes après la première secousse, une deuxième secousse, moins forte, a refait trembler le sol. A nouveau la panique, des chutes de pierre et un nuage de poussière. Pas du tout rassurés, nous sommes restés dehors. Il n’était pas question pour nous de s’approcher des bâtiments en grande partie composés de pierres simplement posées les unes sur les autres, sans ciment. Le vent s’était levé et je grelottais. Était-ce le froid ou la peur qui me faisait claquer des dents ? Sûrement un peu des deux. Nous revivions tous dans nos têtes ce qui venait de se passer. Nous revoyions les pierres chuter à côté de nous comme au loin. Et on a tout de suite réalisé la chance que nous venions d’avoir, car si nous avions été un peu moins rapides, nous aurions été plus bas, sur le chemin, là où les rideaux de pierre nous avaient semblé encore plus important que ceux au-dessus de nos têtes. Toute la matinée nous avions marché sur des corniches à flan de montagne, entièrement sécure en temps normal, mais pas pendant un tremblement de terre. Nous nous sommes vite inquiétés des gens dernière nous qui étaient peut-être sur ces corniches pendant les secousses. On ne voyait pas comment il serait possible qu’il n’y ait pas de blessé, voire pire….
NB : ce sont des nuages de poussière sur les deux photos ci-dessous.
Que venait-il de se passer ? Était-ce un tremblement de terre ? Ce mot n’était tellement pas dans notre univers des possibles que nous avons vraiment mis du temps à le verbaliser. Notre guide semblait aussi désemparé que nous. Il n’avait jamais vécu ça et n’avait aucune réponse à nos questions. Une fois « remis » de nos frayeurs, nous ne savions pas quoi en penser. J’avais en tête quelques vagues souvenirs de mes cours de géologie et pensais déjà aux répliques qui étaient normalement très probable. Mais qui contacter juste après un tel événement pour savoir quoi faire et les risques ? Pouvait-on continuer à marcher comme si de rien n’était ? Nous ne savions même pas vraiment ce qui venait de se passer ni son ampleur. Nous savions juste qu’en cas de réplique, l’endroit où nous étions n’était pas du tout sécure, surtout la nuit. Il nous faudrait donc sûrement continuer à marcher après le déjeuner. En attendant, nous scrutions les environs à la recherche d’un meilleur endroit pour se protéger si le sol bougeait à nouveau. Mais il n’y en avait pas. En cas de nouvelle secousse, le mieux était comme la première fois de se mettre au milieu pour être loin des arbres et des pierres, et voir les projectiles arriver. Trente minutes après la première secousse, une deuxième secousse, moins forte, a refait trembler le sol. A nouveau la panique, des chutes de pierre et un nuage de poussière. Pas du tout rassurés, nous sommes restés dehors. Il n’était pas question pour nous de s’approcher des bâtiments en grande partie composés de pierres simplement posées les unes sur les autres, sans ciment. Le vent s’était levé et je grelottais. Était-ce le froid ou la peur qui me faisait claquer des dents ? Sûrement un peu des deux. Nous revivions tous dans nos têtes ce qui venait de se passer. Nous revoyions les pierres chuter à côté de nous comme au loin. Et on a tout de suite réalisé la chance que nous venions d’avoir, car si nous avions été un peu moins rapides, nous aurions été plus bas, sur le chemin, là où les rideaux de pierre nous avaient semblé encore plus important que ceux au-dessus de nos têtes. Toute la matinée nous avions marché sur des corniches à flan de montagne, entièrement sécure en temps normal, mais pas pendant un tremblement de terre. Nous nous sommes vite inquiétés des gens dernière nous qui étaient peut-être sur ces corniches pendant les secousses. On ne voyait pas comment il serait possible qu’il n’y ait pas de blessé, voire pire….
Après un déjeuner nécessaire, même si l’incertitude des heures à venir nous nouait le ventre, nous avons pris la décision avec notre guide de marcher comme prévu jusqu’à Namrung. Ce village était moins encaissé et donc plus sûr en cas de réplique que l'endroit nous étions. Il y avait de plus normalement un téléphone qui nous permettrait d’avoir des informations pour savoir quoi faire. J’avoue que l’idée de repartir ne me rassurait guère. En moins d’une heure la terre avait tremblé deux fois et elle pouvait bien trembler à nouveau. J’avais d’autant plus peur que la première partie de la route était le long de la montagne abrupte qui avait recraché énormément de cailloux. Ce passage ne devait durer que 30 minutes. Il faudrait faire vite, et repasser de l’autre côté du fleuve, du côté forêt au plus vite. Notre guide qui n’avait pas fini de manger, car il avait été servi après nous, nous a dit de partir devant. Il allait nous rejoindre en chemin. J’avais envie d’en finir au plus vite et bien que pas rassurés de partir sans lui, nous sommes néanmoins partis en éclaireurs. Au bout de juste 30 mètres, on a commencé à vraiment réaliser l’ampleur de la catastrophe et des dégâts. Une pierre de plus d’un mètre de diamètre était tombée sur les fondations du pont et avait fissuré le béton (cf. photo ci-dessous).
Le pont semblait tenir le coup. Nous sommes cependant passés un à un et au pas de course. De l’autre côté de la rive, côté falaise abrupte, le chemin était défoncé. Chutes de pierres, d’arbres et éboulements rendaient le chemin difficile. Un glissement de terrain avait même englouti sur 30 mètres le chemin.
Plus on avançait et plus on réalisait horrifiés qu’il y avait forcément des blessés et des morts. Après 30 minutes à toute allure, nous avons retraversé le cœur battant le fleuve et atteint le côté forêt, d’apparence plus protégé. Il était moins dévasté que l’autre côté, mais il n’avait pas été épargné pour autant.
Ici aussi il fallait faire vite. Nous n’étions plus qu’à 1h de Namrung, la fin était proche. Notre guide nous a rejoints à temps, car par la suite sur deux portions de chemin, nous avons dû trouver des chemins secondaires, car la route était impraticable. A un endroit, le chemin fait de pierre n’existait plus. Le vide à la place était infranchissable.
A un autre endroit, juste à côté du village, alors que nous nous pensions quasiment arrivés, la montagne s’était effritée sur 50 mètres et nous avons dû escalader à travers les bosquets pour rejoindre le village de Namrung.
Le village avait subi des dégâts mais il n’y avait ni blessé grave ni mort. Quasiment toutes les maisons en pierre s’étaient en partie effondrées, et il fallait enjamber des coulées de pierre pour traverser le village.
Il était cependant comme prévu sur une petite plaine et à une distance rassurante des montagnes. Y passer la nuit dans un chalet en bois semblait sans danger. Il y avait aussi des champs qui pourraient faire office de piste d’hélico et ça m’a rassuré. Car vu comment sur quelques kilomètres le chemin était défoncé, je ne voyais pas comment nous pourrions continuer et en tout cas je n’en avais pas envie. Nous avions vu en 1 heure trente de marche, 3 glissements de terrain et 1 pont fissuré. Plus haut il devait forcément y avoir des risques d’avalanche. Plus bas, de là où on venait, comment être sûr que tous les glissements de terrain seront contournable sans danger et que les ponts ne seront pas trop fissurés ? Et comme nous sommes dans une vallée, il n’y a pas de route secondaire, aucune issue de secours.
Plus on avançait et plus on réalisait horrifiés qu’il y avait forcément des blessés et des morts. Après 30 minutes à toute allure, nous avons retraversé le cœur battant le fleuve et atteint le côté forêt, d’apparence plus protégé. Il était moins dévasté que l’autre côté, mais il n’avait pas été épargné pour autant.
Ici aussi il fallait faire vite. Nous n’étions plus qu’à 1h de Namrung, la fin était proche. Notre guide nous a rejoints à temps, car par la suite sur deux portions de chemin, nous avons dû trouver des chemins secondaires, car la route était impraticable. A un endroit, le chemin fait de pierre n’existait plus. Le vide à la place était infranchissable.
Le village avait subi des dégâts mais il n’y avait ni blessé grave ni mort. Quasiment toutes les maisons en pierre s’étaient en partie effondrées, et il fallait enjamber des coulées de pierre pour traverser le village.
Il était cependant comme prévu sur une petite plaine et à une distance rassurante des montagnes. Y passer la nuit dans un chalet en bois semblait sans danger. Il y avait aussi des champs qui pourraient faire office de piste d’hélico et ça m’a rassuré. Car vu comment sur quelques kilomètres le chemin était défoncé, je ne voyais pas comment nous pourrions continuer et en tout cas je n’en avais pas envie. Nous avions vu en 1 heure trente de marche, 3 glissements de terrain et 1 pont fissuré. Plus haut il devait forcément y avoir des risques d’avalanche. Plus bas, de là où on venait, comment être sûr que tous les glissements de terrain seront contournable sans danger et que les ponts ne seront pas trop fissurés ? Et comme nous sommes dans une vallée, il n’y a pas de route secondaire, aucune issue de secours.
Maintenant il n’y a plus qu’à attendre. Attendre des infos. Attendre de savoir quoi faire. Le téléphone ne marche malheureusement pas, mais notre guide pense qu’il sera peut-être réparé demain. A date, nous n’avons donc pas plus d’infos. Juste le pressentiment qu’un événement dramatique vient de se passer. J’essaye de ne pas trop penser à demain. J’ai peur qu’on soit obligé de continuer notre route. Notre guide nous dit qu’il va demander qu’un hélico vienne nous chercher, mais ça me paraît très optimiste et peu probable. Il a eu quelques infos par d’autres randonneurs et népalais qui ont dû pouvoir téléphoner plus bas ou plus haut. Apparemment en contrebas, et notamment à Katmandou, il y aurait eu beaucoup de dégâts et de morts...
Ce soir la terre a nouveau tremblé deux fois pendant le dîner. C’était des petites secousses, mais ça a suffit pour raviver la peur ressentie quelques heures plus tôt. Je réalise alors que ces montagnes qui me paraissaient si belles hier, m’effraient à présent. Je tremble à la moindre vibration, même quand elles sont liées au fait que quelqu’un a marché trop vite dans notre chalet en bois. J’ai envie de m’échapper d’ici au plus vite, et le sentiment d’être bloqué sur ce chemin sans issue de secours est angoissant et difficile à supporter. Je ne vois pas du tout comment on va sortir de cette vallée... Espérons qu’au moins maintenant la terre soit calmée.
Nous commençons aussi à redouter que cet événement soit médiatisé et que nos proches s’inquiètent. Il faut absolument que demain nous trouvions le moyen de contacter nos familles. Nous pensons avoir 24h avant que l’info arrive en France. Nous sommes en effet très loin de nous douter que ce désastre a été tellement fort et mortel, qu’il est déjà, dès ce soir, relayé aux infos partout dans le monde.
Jour 6 : Dimanche 26 Avril - Namrung (2 630 m.) => Lho (3 180 m.)
J’ai très mal dormi cette nuit. Ma nuit a été parsemée de cauchemars et de moments d’insomnie où ma tête bouillonnait de tous les « si » qui auraient pu nous être fatale. Et si on était parti un jour plus tôt ? Et si on s’était arrêté mangé plus tôt comme nous l’avait suggéré le guide ? Et si le restaurant où nous nous sommes arrêtés avait été fermé (ce qui avait été envisagé par le guide) ? Nous aurions alors pu être de l’autre côté du fleuve, là où le chemin ne ressemblait plus à rien… J’ai aussi pensé à tous les gens, porteurs, népalais, touristes, qui étaient eux sur le chemin pendant le tremblement de terre, et notamment à ceux qu’on avait croisés au refuge la nuit précédente. Que leur était-il arrivé ? Ont-ils pu se protéger ? Entre deux pensées morbides, un peu masochistes, je guettais la même moindre vibration qui me faisait trembler. Je n’arrivais pas à savoir si le sol tremblait pour de vrai ou dans ma tête. Avant de nous coucher, nous avions préparé nos frontales, manteaux et chaussures afin de pouvoir nous jeter dehors le plus rapidement possible en cas de nouvelle secousse. Inutile de dire que la nuit n’a pas été très réparatrice.
Au réveil, nous avons eu l’information que comme je le craignais, nous ne pouvions ni descendre ni monter. Ça m’a affreusement rassuré que notre guide nous le dise, car j’avais tellement peur qu’on nous oblige à continuer sur ces chemins défoncés. Et en même temps, c’était malheureusement la preuve qu’un vrai désastre s’était passé hier... En contrebas les ponts étaient coupés et en haut, des failles de glaces s’étaient ouvertes et rendaient le chemin beaucoup trop risqué. Le téléphone ne marche par contre toujours pas ce matin….
Après le petit-déjeuner, alors que nous pensions que nous passerions la journée à Namrung, à bouquiner et à attendre que ça se calme, notre guide nous a annoncé qu’il fallait remettre nos sacs à dos et marcher jusqu’au village de Lho, situé à 4h de marche de là. Ce village était également dans une zone sûr en cas de nouvelle secousse. Les hélicoptères pouvaient s’y poser et nous devrions normalement y trouver un téléphone en état de fonctionnement qui nous permettrait d’appeler notre agence et nos familles. Notre guide est alors persuadé qu’on pourrait ainsi très potentiellement être ce soir à Katmandou. Nous, ça nous paraît drôlement optimiste. Car on n'est pas franchement les seuls sur le chemin...
Même si le cœur n’y était pas, car le risque d’éboulements ou d’un autre séisme ne nous semble pas nul, nous sommes partis en direction de Lho, à nouveau au pas de course. Nous étions à chaque pas à l’affût d’une cachette en cas de secousse et sur les parties les plus exposées, on marchait encore plus vite. Sur la route, nous avons pu à nouveau constater à contre cœur les dégâts causés par les éboulements et glissements de terrain. Le sol était par moment fissuré de toute part et à partir de 3000 mètres, nous avons vu des coulées de neige qui avaient englouti le chemin. En les traversant le plus vite possible - j'entends encore notre guide nous crier "go fast ; go fast" - nous n’avons pas pu nous empêcher de penser aux personnes qui étaient peut-être enterrées en dessous…
Nous avons traversé des villages complètement détruits, devenus fantômes. Notre guide était comme nous, complètement chamboulé de voir de ses yeux de tels dégâts. Inutile de dire que ça a été la marche la plus glauque et triste de notre vie.
Même si le cœur n’y était pas, car le risque d’éboulements ou d’un autre séisme ne nous semble pas nul, nous sommes partis en direction de Lho, à nouveau au pas de course. Nous étions à chaque pas à l’affût d’une cachette en cas de secousse et sur les parties les plus exposées, on marchait encore plus vite. Sur la route, nous avons pu à nouveau constater à contre cœur les dégâts causés par les éboulements et glissements de terrain. Le sol était par moment fissuré de toute part et à partir de 3000 mètres, nous avons vu des coulées de neige qui avaient englouti le chemin. En les traversant le plus vite possible - j'entends encore notre guide nous crier "go fast ; go fast" - nous n’avons pas pu nous empêcher de penser aux personnes qui étaient peut-être enterrées en dessous…
Après seulement 3h de marche (la peur ça fait avancer), nous sommes arrivés au village de Lho qui était lui aussi un lieu sûr, loin des montagnes. Nous y avons retrouvés d’autres randonneurs : certains venants du bas comme nous et d’autres de plus haut. Les randonneurs venant du haut étaient particulièrement choqués. Là haut certains refuges ont été détruits et des avalanches ont ponctué leur retour jusqu’ici. Ils nous ont bien confirmé que la route en haut était trop dangereuse et je me rappellerais longtemps de la peur que j’ai vu dans les yeux d’un couple de polonais. Ils avaient eux croisé en route des animaux morts, certains quasiment intégralement englouti par la neige, d’autres décapités par des cailloux…. A nouveau on a réalisé à quel point on avait été chanceux…
A Lho nous avons eu plus d’infos sur les dégâts causés par le séisme, qui aurait causé à date au moins 10 000 morts et notamment à Katmandou où une bonne partie des maisons se sont effondrées. Maintenant nous sommes sûrs à 100% qu’il est impossible de continuer comme de rebrousser chemin. Nous sommes donc bloqués et la seule solution est d’attendre un hélicoptère. Et si heureusement pour nous, nous sommes dans un endroit sûr, nous allons potentiellement attendre quelques jours car les secours doivent clairement avoir d’autres priorités. Vu l’ampleur des dégâts nous n’avons quasiment plus aucun doute sur le fait que l’événement est connu en France. Le téléphone de Lho fonctionne mais que en local. Nous demandons alors à notre agence d’envoyer un email à nos familles pour les rassurer. En parallèle, nous apprenons qu’un autre guide a un téléphone satellite et qu’il est d’accord pour que des étrangers l’utilisent quelques secondes pour rassurer leurs familles (les communications via téléphone portable satellite sont très cher). De peur que mes parents ne reçoivent pas l’email (une erreur de frappe est si vite arrivée), je lui demande si je peux les appeler 30 secondes. Et là, la technologie m’a bluffée. A 3100 m d’altitude, en pointant juste le téléphone satellite vers le nord, j’ai rapidement entendu une tonalité puis la voix de ma mère. A l’intonation de son « Allô », j’ai tout de suite su qu’elle savait ce qui s’était passé ici et d’autant plus qu’à côté j’ai entendu la voix angoissée de mon père lui demander « C’est Béné ? ». Je n’ai donc pas perdu de temps à lui expliquer la situation. J’ai juste déballé à toute allure qu’on allait bien, qu’on était dans un endroit sûr, qu’on allait être rapatrié et qu’il fallait qu’ils appellent les parents de Guillaume & Brice pour les rassurer. J’aurais tellement voulu avoir plus de temps, pouvoir les laisser parler, pouvoir leur raconter ce qu’on venait de vivre, mais ça coûtait trop cher et ce n’était pas mon téléphone. Après une petite minute de conversation il m’a donc fallu raccrocher à contre-cœur. Je me suis tout de suite sentie tellement soulagée d’avoir pu les prévenir et en même temps tellement frustrée de n’avoir pas pu leur parler plus longtemps. Par la suite, dès que le téléphone sonnait, je ne pouvais m’empêcher d’espérer que se soit eux, même si c’était impossible car ce téléphone là c’était un téléphone local. Mais j’avais tellement envie et besoin d’entendre leur voix, que d’espérer un appel impossible me faisait quand même du bien.
A Lho nous avons eu plus d’infos sur les dégâts causés par le séisme, qui aurait causé à date au moins 10 000 morts et notamment à Katmandou où une bonne partie des maisons se sont effondrées. Maintenant nous sommes sûrs à 100% qu’il est impossible de continuer comme de rebrousser chemin. Nous sommes donc bloqués et la seule solution est d’attendre un hélicoptère. Et si heureusement pour nous, nous sommes dans un endroit sûr, nous allons potentiellement attendre quelques jours car les secours doivent clairement avoir d’autres priorités. Vu l’ampleur des dégâts nous n’avons quasiment plus aucun doute sur le fait que l’événement est connu en France. Le téléphone de Lho fonctionne mais que en local. Nous demandons alors à notre agence d’envoyer un email à nos familles pour les rassurer. En parallèle, nous apprenons qu’un autre guide a un téléphone satellite et qu’il est d’accord pour que des étrangers l’utilisent quelques secondes pour rassurer leurs familles (les communications via téléphone portable satellite sont très cher). De peur que mes parents ne reçoivent pas l’email (une erreur de frappe est si vite arrivée), je lui demande si je peux les appeler 30 secondes. Et là, la technologie m’a bluffée. A 3100 m d’altitude, en pointant juste le téléphone satellite vers le nord, j’ai rapidement entendu une tonalité puis la voix de ma mère. A l’intonation de son « Allô », j’ai tout de suite su qu’elle savait ce qui s’était passé ici et d’autant plus qu’à côté j’ai entendu la voix angoissée de mon père lui demander « C’est Béné ? ». Je n’ai donc pas perdu de temps à lui expliquer la situation. J’ai juste déballé à toute allure qu’on allait bien, qu’on était dans un endroit sûr, qu’on allait être rapatrié et qu’il fallait qu’ils appellent les parents de Guillaume & Brice pour les rassurer. J’aurais tellement voulu avoir plus de temps, pouvoir les laisser parler, pouvoir leur raconter ce qu’on venait de vivre, mais ça coûtait trop cher et ce n’était pas mon téléphone. Après une petite minute de conversation il m’a donc fallu raccrocher à contre-cœur. Je me suis tout de suite sentie tellement soulagée d’avoir pu les prévenir et en même temps tellement frustrée de n’avoir pas pu leur parler plus longtemps. Par la suite, dès que le téléphone sonnait, je ne pouvais m’empêcher d’espérer que se soit eux, même si c’était impossible car ce téléphone là c’était un téléphone local. Mais j’avais tellement envie et besoin d’entendre leur voix, que d’espérer un appel impossible me faisait quand même du bien.
Maintenant à nouveau, nous n’avons plus qu’à attendre. Je reste apeurée à chaque bruit sourd et d’autant plus que la terre a retremblé ce midi. Nous apprendrons plus tard que c’était en fait non pas une réplique mais un deuxième tremblement de terre. Nous étions arrivés à Lho depuis seulement 30 minutes lors de ce nouveau séisme. Là encore, nous étions attablés car nous venions tout juste de commander à manger quand ça a tremblé. Mais surtout, là encore, on aurait pu être sur le chemin... Notre guide nous a cependant permis de bien rire une fois la secousse passée et d’évacuer ainsi une partie de notre stress. Dès que la terre avait commencé à trembler à nouveau, il était en effet sorti en trombe du restaurant et avait sauté à travers une barrière de plus d’un mètre de haut, pour être le plus loin possible du bâtiment. Moi, je n’ai pas vu la scène car j’étais aux toilettes, lors de la secousse… Je me suis jetée dehors, mon pantalon non reboutonné. Mais les garçons ont tout vu, et l’ont surtout vu s’échapper comme un voleur, sans leur adresser un regard ni leur conseiller de sortir au plus vite. Il était affolé comme nous et c’est chacun pour soit dans ces moments là. On ne peut pas lui en vouloir.
Après le déjeuner, nous avons passé notre après-midi à échanger nos récits avec les autres randonneurs. Nous avions tellement besoin d’en parler. Nous avons aussi joué au Mémo grâce à une randonneuse qui avait apporté ce jeu de cartes pour le donner à des enfants. Pendant la partie, nous nous sommes tous jetés sur la moindre étourderie pour nous esclaffer de bon cœur, comme des gamins. C’est que nous avions aussi tous tellement besoin de rire. Une des randonneuses était d’un naturel gai et avait un rire entraînant. Et c’est la première fois qu’un rire m’a fait autant de bien.
Ce qui est bizarre c’est que, c’est maintenant que j’ai envie de pleurer. Maintenant qu’on est arrivé au bout de tout ce périple et qu'on est en sécurité. Certes on est encore bloqué à 3100 mètres, mais on est proche de la fin, et j’ai l’impression de commencer seulement à réaliser tout ce qui vient de se passer.
Ce qui est aussi bizarre, c’est que depuis le tremblement de terre je me sens différente. Je n’arrête pas de penser aux jours qui ont précédé le séisme, à mon insouciance comme à mes tracasseries futiles… Même si jamais peur que mes chaussures ne tiennent pas le coup, je me sentais quand même si bien sur ces chemins qui me faisaient traverser des paysages si calmes et magnifiques. Maintenant une petite part de moi se sent apeurée et une grande partie tellement triste pour tous ceux qui n’ont pas eu autant de chance que moi.
Avant le couchée du soleil, le ciel s’est dégagé et nous avons pu enfin apercevoir le Manaslu, ce sommet de plus de 8000 mètres que nous devions contourner. Bien que nous soyons quand même à 3100 mètres, on s’est senti si petit face à ce monstre de la nature. Si les montagnes me font peur depuis hier, cette vision m’a étonnamment redonné un peu goût à la randonnée. C’est que face à une telle splendeur enneigée, on ne peut qu’avoir envie de revenir pour le voir de plus près et de plus haut.
Les secousses ne semblant pas finis, cette nuit, on va à nouveau rester sur le qui-vive avec nos chaussures et manteaux à portée de main. Même si nous logeons dans une maison en bois à nouveau, et que le bois ça semble bouger sans casser lors des secousses, mieux vaut être dehors si le sol retremble, car on ne peut pas être à 100% confiant dans la solidité des maisons.
Jour 7 : Lundi 28 Avril - Lho – L’attente commence…..
Après une nuit encore pas ultra sereine, la terre ayant retremblé à 20h juste avant de se glisser dans nos sacs de couchage, une journée d’attente nous attend sûrement. Nous n’étions cette nuit d’autant plus pas confiants, que juste avant d’aller se coucher notre guide nous a dit « Tonight be careful », sous-entendu, « soyez prêt à vous jeter dehors si ça rebouge ». Moi qui commençais tout juste à moins trembler à chaque bruit sourd, j’aurais préféré un simple « Good night »…
Notre guide est confiant (ou le semble) sur le fait qu’un hélico viendra nous chercher aujourd’hui. Nous, nous le sommes moins. Heureusement pour nous, nous ne sommes pas la priorité du gouvernement népalais car nous sommes tous sain et sauf et en lieu sûr en cas de réplique. Apparemment le centre de Katmandou est encore fermé ainsi que tous les hôtels. Les habitants et touristes relogés dans des tentes. Au final, même si à 3100 mètres la température n’est pas au-dessus de 2/3 °C et qu’il n’y a ni chauffage ni eau chaude, nous avons cependant un toit sur la tête et assez de nourriture pour tout le monde pour un mois. Certes il n’y a pas grand-chose à faire, mais nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Nous aimerions aider les locaux à reconstruire leur maison. Mais ça semble compliqué. D’une part ils sont tibétains et non népalais, et ils ne parlent pas le népalais. Nos guides ne peuvent donc pas leur demander comment les aider. Mais surtout, à moins de 72h du premier séisme, les risques de réplique sont encore forts et personne n’ose s’approcher des maisons en pierre. Les villageois préfèrent pour l'instant rester sous des tentes de fortune, même s'il fait moins de 0°C la nuit.
Au moins le temps a été clément et nous a offert un plein soleil toute la matinée qui nous a bien chauffé le corps. Et ça nous a fait du bien au moral, car quand il n’y a pas de soleil (ce qui est souvent le cas l’après-midi), il fait vraiment froid et même avec tous les vêtements de notre sac sur le dos.
Cette après-midi, à l’initiative d’un des rescapés, nous avons eu un meeting afin d’échanger nos infos. Il a été décidé d’établir une liste de toutes les personnes à évacuer avec nos numéros de passeport et nationalité afin que si jamais un hélicoptère venait en chercher quelques-uns, les autorités soient au courant du nombre de personnes à évacuer. Nous avons également mis la date de notre avion de retour car il a été évoqué que ce soit sur cette base qu’on établisse l’ordre d’évacuation. Nous sommes en effet une bonne trentaine en tout, il faudra donc plusieurs rotations d’hélicoptères pour évacuer tout le monde. Il faut donc bien trouver un moyen de savoir qui partira en premier. A date chaque guide essaye via son agence de dépêcher un hélicoptère privé pour son groupe. Une agence a un téléphone satellite et des guides super bien équipés. Quand on voit les petites baskets de notre guide, on se dit que notre agence ne sera sûrement pas la plus rapide…. Mais bon de toute manière tous les hélicoptères seraient apparemment à date réquisitionnés par le gouvernement népalais qui pilote toutes les opérations de secours. Ça me parait censé et je doute que des hélicoptères privés viennent nous chercher. En plus, ça ne doit pas être donné et ça m’étonnerait que l’agence prenne en charge ce coût. Faut qu’on voie avec notre assurance si on est couvert dans ce genre de cas… Le discours du tchèque qui a pris la parole, que nous appellerons par la suite pour rigoler le « chef du village », ne m’a par contre pas du tout rassuré car il semblait émettre l’éventualité que les autorités mettent plusieurs semaines pour venir nous chercher, si elles venaient nous chercher. Et c’est ce « si » qui est le plus dur à entendre.
Peu après le discours du tchèque, un groupe de Malaisiens a reçu un appel de leur agence leur disant qu’ils allaient peut-être être évacués dans l’après-midi. A la va-vite ils ont préparé leur sac et commencé à dire au revoir à tout le monde. C’est bizarre, car même si je savais bien que cet hélico n’était pas pour moi, je l’attendais comme eux. Cet hélico me donnait espoir et aussi quelque chose à attendre. Mais malgré le beau temps, nous n’avons entendu aucun bruit d’hélico, et vers 18h ils se sont résignés à remettre leurs sacs dans leurs chambres. Nous, nous avons décidé qu’à partir de maintenant nous ferions nos sacs tous les matins, pour être prêt au cas où ! Et puis ce n’est pas comme si on n’avait que ça à faire !
Ce soir, j’ai un peu le cafard et notamment quand j’ai vu qu’un rescapé était au téléphone avec sa famille. En faite le téléphone de l’hôtel où nous sommes, ne peut pas émettre à l’international mais peut recevoir des appels internationaux. Il a pu grâce à son agence communiquer par email le numéro à sa famille. Même si ça ne changerait rien, j’aimerais tellement avoir mes parents au téléphone. Gentillement le rescapé, qui est tchèque, me propose que sa femme communique à mes parents le numéro de téléphone d’ici. J’espère tant qu’ils recevront l’email et puissent m’appeler. Ça me donne au moins quelque chose à attendre demain de plus probable qu’un hélico. Car vu la situation à Katmandou nous allons sûrement rester encore quelques jours à méditer et à laisser le temps filer.
Au dîner notre guide nous a redit « Tomorrow maybe » quand on lui a demandé des nouvelles de l’hélico, suivit de son traditionnel «But don’t worry ». On pressent qu’on risque d’entendre la même ritournelle plusieurs soirs de suite. On pressent surtout qu’il n’en sait rien du tout et qu’il dit ça pour qu’on garde le moral. En tout cas encore une fois, on n’a pas le droit de se plaindre car on est en vie. Cette après-midi, une tibétaine a appris que son mari disparu avait été emporté par un glissement de terrain. Depuis, elle n’a pas cessé de pleurer. Nous entendons encore ses pleurs ce soir et sa douleur nous a tous ébranlé. On se sent tellement impuissant dans ces moments là et limite honteux de s’en être si bien sorti.
Jour 8 : Mardi 29 Avril - L’attente continue !!!
Ce matin c’est à nouveau grand ciel bleu et c’est vraiment fou comme ça nous procure immédiatement un sentiment de bien-être. Il a été malheureusement de courte durée, car le ciel bleu a vite été remplacé par un épais toit nuageux, qui nous a coupé par la même occasion du reste du monde. Car notre téléphone ne capte pas quand il y a trop de nuages.
Aujourd’hui moi, moi je n’attends pas l’hélico, je sens que c’est encore trop tôt. J’attends par contre un appel de mes parents. A partir de 11h j’ai décidé que je ne quitterai plus la salle commune de peur de louper leur appel. Il y a 3h45 de décalage horaire avec la France (à 11h chez nous, il est 7h15 du matin en France), à partir de 11h tout espoir est donc permis !
La journée s’est écoulée doucement et d’autant plus qu’il a plu toute l’après-midi. Recroquevillée sur la banquette de la salle commune avec mon manteau et mes mitaines, j’ai chaudement remercié mes anciens collègues de m’avoir conseillé de lire « La vérité sur l’affaire Harry Québert » de Joël Dicker car ce livre m’a captivé dès le début et il a en plus l’avantage de faire plus de 700 pages !! Ça va m’occuper ! Et j’ai aussi béni Guillaume de m’avoir offert une liseuse avant de commencer notre tour du monde. Les jours précédents, je n’avais pas la tête à lire et je préférais discuter avec les autres ou regarder le ciel. Mais aujourd’hui tout se décante dans ma tête, et l’angoisse de ne pas savoir ni quand on partirait ni comment occuper mes journées commence à prendre le pas sur les frayeurs causées par le séisme.
Vers 16h, fatigués de grelotter dans la salle commune, nous nous sommes réfugiés dans nos chambres sous nos duvets. J’ai bien précisé au guide avant où nous étions pour au cas où le téléphone sonnerait. Quand mes yeux ont commencé à me piquer à force de lire, j’ai regardé le plafond et je me suis téléportée mentalement chez mes parents. Le fait de visualiser ma chambre, le jardin, un déjeuner en famille, m’a apaisé. Au prix certes de quelques larmes. Mais parfois ça fait du bien. En tout cas ce qui est fou, c’est que ça ne fait que deux jours et demi qu’on attend à rien faire et ça me parait déjà une éternité et d’un désespoir fou. Alors que pourtant, j’ai et j’ai eu tellement de chance. Et puis deux jours et demi dans une vie, ce n’est rien. A côté de moi, des familles ont perdu leur maison et dorment dehors dans des tentes de fortune. Moi j’ai un toit et je mange au restaurant du refuge trois copieux repas par jour. Mais rien n’y fait. Je ne pense qu’à égoïstement partir d’ici et on commence tous à souffrir secrètement de cette attente qui paraît sans fin. A un moment, Brice le frère Guillaume, a osé verbaliser son ennui et l’ironie du sort d’être coincé à 3100 mètres d’altitude dans un village perdu, alors qu’il pensait passer son mois de vacances tant attendu d’une toute autre manière. Et ça m’a bizarrement provoqué un fou rire nerveux. C’est qu’au fond, ça a dû me rassurer de ne pas être la seule à trouver le temps long. On s’est par la suite mis à creuser nos cervelles à la recherche de toutes les blagues et devinettes qu’on connaissait. Malheureusement, ça ne nous a occupé qu’une petite demi-heure. Nous avons alors enchaîné sur un petit BAC, mais mentalement car on n’a pas assez de stylo. Et ça, ça nous a aussi occupé 30 minutes, c’est déjà ça ! Il est ainsi maintenant l’heure de dîner.
Ce soir, notre guide nous a à nouveau dit comme prévu « Tomorrow maybe » pour l’hélico. Par moment j’ai vraiment l’impression qu’on va nous oublier ici et d’autant plus que si ce soir le téléphone n’a pas arrêté de sonner pour les autres rescapés, aucun appel n’a été pour nous….. « Tomorrow maybe » ! J’ai l’impression de revivre l’attente d’un courrier lors des voyages de classe quand j’étais enfant. Quand j’attendais chaque jour une lettre de mes parents. Certains recevaient une lettre tous les jours, et moi c’était souvent à la fin du séjour que j’en recevais une. NB : ce qui était dans le fond clairement suffisant. C’est juste qu’enfant, j’avais vraiment du mal à couper les ponts avec mes parents.
Jour 9 : Mercredi 30 Avril - Up and down, le pire c’est de ne pas savoir.
Ce matin le temps nous a, à nouveau, honoré d’un grand ciel bleu et après la pluie d’hier, il était le bienvenue. Nous sommes allés faire une balade pour nous dégourdir les jambes, mais une micro-balade car le sentier est rapidement défoncé et dangereux. Nous avons contemplé la nature et il est vrai que côté paysage on est gâté. On a une magnifique vue sur le Manaslu et sur les autres monts enneigés qui nous dominent. Nous avons regardé les ânes brouter et les aigles planer. Je crois que je n’avais jamais pris le temps de contempler la nature comme ça.
Un peu avant 11h, je me suis par contre dépêchée de redescendre de peur de louper un appel de France. Mais le téléphone n’a pas sonné pour nous. Je commence à craindre que l’email du tchèque ne soit passé en spam, car je ne comprends pas pourquoi mes parents mettent autant de temps à appeler. Car il n’est pas possible qu’ils aient reçu l’email et se soient dit que ça ne changerait rien de m’appeler… Non, non, je ne peux pas croire qu’ils ne vont pas appeler. Quelque chose doit expliquer ce silence, mais quoi ?
Vers midi, à l’initiative du « chef du village » nous avons eu un nouveau meeting avec les autres « rescapés » et par cette occasion des news qui m’ont plutôt inquiétée. En faite, on ne sait vraiment pas quand, et si, un hélico viendra nous chercher. Au fond, ce n’est clairement pas l’ennui qui est le plus dur à supporter, mais c’est de ne pas savoir combien de temps on va attendre et si on attend quelque chose qui arrivera un jour. Plus que l’ennui, c’est l’angoisse qui me ronge à longueur de journée qui est le plus dur à supporter. C’est elle qui m’empêche de profiter de la chance que j’ai d’être en vie et à l’abri. Et c’est elle qui me rend incapable de réussir à m’occuper alors qu’à Paris il y avait tellement de fois où j’aurais rêvé avoir autant de temps. Certains commencent à émettre la possibilité d’essayer de redescendre la vallée. Mais si on le fait c’est à nos risques et périls. Lors du meeting, un des guides a même précisé que si on décidait de redescendre, on devrait d’abord signer une décharge pour disculper l’agence en cas d’accident. Pas très rassurant tout ça….
Avant de prendre notre décision, nous devons absolument réussir à obtenir le numéro de l’ambassade de France au Népal et à les joindre pour leur demander conseil (NB : c’est pas mal en faite quand on est à l’étranger de toujours avoir le numéro de son ambassade, car on ne sait vraiment jamais…). Notre guide a appelé tous ses contacts et a pu ainsi nous sauver la mise. Après deux trois appels dans le vide (trop de nuages dans le ciel !), nous avons pu les joindre. A date, ils ne peuvent rien faire pour nous, ni rien nous conseiller, car c’est le gouvernement népalais qui gère les opérations et ils n’ont aucune visibilité. Ils peuvent juste nous garantir qu’ils nous prendront en charge quand on sera à Katmandou, enfin si on y arrive un jour... La situation me paraît si compliquée. Je crains qu’on attende ici des jours voire des semaines. Ce sentiment d’être emprisonné sans échéance commence à m’être tellement insupportable, que l’éventualité de redescendre à pied qui me faisait avant tellement froid dans le dos, me redonne maintenant limite espoir, car au moins je serais active. Même si c’est quand même tellement con de prendre des risques pour quelques jours difficiles… Mais c’est plus fort que moi, ce sentiment d’emprisonnement commence à me rendre folle.
En tout cas, le village de Lho ressemble aujourd’hui plus à un camp de réfugiés qu’à un village de montagne. Chaque jour de nouveaux rescapés rejoignent notre camp et nous sommes maintenant quasiment 80 à attendre notre évacuation, touristes, guides et porteurs. Ils viennent du haut comme du bas et quasiment tous décident comme nous d’y attendre pour l’instant les secours. A date, seul un téméraire (ou inconscient) a décidé de tenter sa chance par le bas. Avant de partir, on lui a fait promettre de nous appeler s’il réussit à passer. S’il marche vite et que tout va bien, dans 3 jours il devrait être en bas. Nous serions alors fixés sur la possibilité de descendre par nous-mêmes.
Vers 16h, une bonne nouvelle tombe. Apparemment un ordre de mission pour venir nous chercher a été établi et nous devons être prêts à tout instant. Ouf, ils ne nous ont pas oubliés ! C’est fou quand même les ascenseurs émotionnels par lesquels je suis passée aujourd’hui. A 12h notre situation semblait bloquée et maintenant un nouvel espoir s’ouvre. Ces contradictions me laissent du coup un peu perplexe quant à la véracité de la bonne nouvelle annoncée.
En tout cas, comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, à 18h30 j’entends quelqu’un dire « Call from France ». Quel bonheur d’entendre ma mère qui essayait désespérément de nous joindre depuis deux jours. Entre les moments où ça ne capte pas et les moments où la ligne est occupée, ça n’a pas été une mince affaire de nous joindre. Elle essayait sans relâche depuis plus d’une heure quand elle a entendu, sans plus y croire, quelqu’un demander « Which nationality ? ».
Ce soir, je me sens beaucoup mieux et me couche pleine d’espoir. Et j’en avais vraiment besoin.
Jour 10 : Jeudi 31 Avril - De l’espoir à la déception
Aujourd’hui tout le monde est sur les starting block. Nous avons eu une info comme quoi nous pourrions être évacués à tout moment. Du coup notre petit-déjeuner a été avancé à 6h30. Certes on n’a pas eu besoin de réveil car vu qu’on se couche tôt et qu’on ne fait pas grand-chose, on n’a jamais de mal à se lever. Mais avancer le petit-déjeuner, ça laisse derrière une longue matinée si les hélicos ne viennent pas. Ce qui a été le cas…
Aujourd’hui je craque à nouveau. Mon nez coule et est tout pelé. Avec ce froid, on est tous un peu malade. Dans deux mois, quand je repenserai à tout ça, je me trouverai sûrement stupide d’avoir été si triste et bébé. Et sûrement un peu honteuse d'avoir été si faible au milieu de tant de vrais malheurs. Mais c’est quand même dur, de chaque jour rester à attendre un hélico qui peut-être ne viendra pas ou dans plusieurs semaines. Et je pense que c’est quelque chose qu’on ne peut comprendre que si on l’a vécu. La situation semble tellement compliquée au Népal en ce moment. Même si on nous dit le contraire, il n’y a aucune raison que l’armée perde son temps avec nous. Il y a carrément d’autres priorités et j’en suis bien conscience. Je ne veux surtout pas qu’on vienne me chercher avant un blessé. Mais en même temps, je ne sais vraiment pas comment je vais faire pour pouvoir supporter d’être coincée ici plusieurs semaines à attendre chaque jour un hélico qui ne vient pas. Je commence sérieusement à regretter qu’on ne se soit pas penché pour cueillir quelques brins de marijuana, ça m’aurait peut-être détendu ! Blague à part, on nous dit qu’on est mieux ici qu’à Katmandou qui serait dévasté et où des épidémies de choléra se développeraient. Mais rien n’y fait, je rêve de ma libération, car ces journées interminables rythmées par les repas me sont d’autant plus pesantes que je ne sais pas combien d’autres il y en aura encore. Ma montre est devenue mon ennemi. Je crains de la regarder de peur d’être déçu et puis dès que je craque et que j’y jette un coup d’œil, alors à partir de ce moment là, le temps semble mettre encore plus de temps à s’écouler.
Quand je me sens craquer, je me répète que tout a une fin, comme la vie…. Et que je finirai donc un jour par partir d’ici. Peut-être demain, ou après-demain ou après-après demain, comme nous le répète notre guide chaque soir…
Jour 11 : Vendredi 1er Mai - De l’activité dans le ciel qui donne espoir
Aujourd’hui j’ai à nouveau eu mes parents au téléphone. Mais contrairement à la première fois, ça ne m’a pas du tout fait de bien. Ils sentent que je commence à craquer et ils ont pensé me consoler en me rappelant à quel point j’avais de la chance d’être en vie et que je n’avais pas le droit de me plaindre. Sauf que ce qu’ils ne savent pas, c’est que oui, j’en ai pleinement et affreusement conscience. Oui, je sais que j’ai eu une chance de folie d’en être sortie indemne. Et oui, je sais que par égard pour tous ceux qui sont morts et pour tous les népalais qui n’ont plus de maisons, je n’ai pas le droit de me plaindre. Maintenant ça n’empêche qu’ils ne savent pas non plus ce qu’on ressent quand on attend comme on le fait, sans infos, sans savoir quand et si on viendra nous chercher. Attendre sans rien faire car les villageois ne reconstruisent pas encore leurs maisons. On a redemandé si on pouvait les aider, car on souhaite plus que tout pouvoir être utile. Mais on nous dit qu’on ne peut rien faire, car les villageois ne veulent pas pour l’instant reconstruire. Ils semblent craindre encore que la terre bouge à nouveau. On a donc organisé une collecte au sein des réfugiés étrangers. Car donner de l’argent est, malheureusement pour nous, la seule chose qu’on puisse faire pour les aider. Ils ne savent pas non plus qu’on se demande chaque jour si on aura assez d’argent en liquide pour payer notre chambre et nourriture. Tout dépend du nombre de jours qu’on reste ici. Ils ne savent pas non plus qu’on se demande aussi tout le temps si on ne finira pas par craquer et par prendre le risque de redescendre à pied. Alors oui, nos familles ont le droit et ont même raison de nous sermonner en nous rappelant à quel point on est chanceux. Mais ils ne savent pas ce qu’on ressent quand on se sent pris au piège et impuissant dans un pays qui n’est pas le vôtre. Ils ne savent pas qu’il n’y a rien qu’ils puissent me dire que je ne sais cruellement déjà. Ils ne savent pas qu’il est inutile d'essayer de me consoler, car je me sens inconsolable. Ils ne savent pas que j’essaye à chaque seconde de prendre sur moi et que j’ai juste besoin de parler pour évacuer l’angoisse qui me ronge. Cette angoisse qui me fait me sentir si seule parmi ce camp de pourtant plus de 80 rescapés. Et à leur place, je ne le saurais pas non plus.
Aujourd’hui l’espoir est quand même revenu entre deux moments de doute et de désespoir. Quatre hélicoptères se sont en effet posés sur notre piste ! Certes, seulement un est reparti avec 6 personnes à bord, mais ça nous a, à tous, fait du bien de voir de l’activité dans le ciel ! L’hélicoptère qui a emmené 6 personnes était un hélicoptère privé venu chercher un groupe d’anglais et apparemment ça n’était pas donné. On a entendu 12 000$ sans être sûr que ça soit le vrai prix. On entend ici tellement tout et son contraire ! Par contre, on a appris par la suite - et ça c’était vraiment vrai - qu’ils ont laissé sur place leurs trois porteurs, mais pas leurs bagages par contre... On ressent en ce moment d’autant plus fortement ces honteuses différences de classe qui semblent « autoriser » certains à penser que leurs porteurs sont des quantités négligeables.
En tout cas, nous on sait maintenant que ce n’est pas un hélicoptère privé qui viendra nous chercher car ça serait à notre charge et notre assurance ne nous couvrira pas. Il aurait fallu qu’on soit blessé pour qu’elle nous couvre. On est bloqué à 3100 mètres d’altitude mais pour les assurances ce n’est pas une raison suffisante. C’est quand même fou comme elles ont vraiment le don de toujours trouver des exceptions à leur avantage.
Les trois autres hélicoptères n’ont ramené personne car deux d’entre eux étaient venus pour recenser les blessés et les besoins du village (c’était Médecin Sans Frontière et l’armée). Le quatrième c’était un hélico dépêché par l’ambassade américaine. Il était venu chercher une ressortissante américaine mais est reparti à vide car elle n’a pas voulu partir sans son groupe. Ce qui est stupide et honorable à la fois à mon sens. Avant de partir, le pilote aurait cependant pris conscience du nombre de personnes à évacuer et aurait promis de revenir tous nous chercher dans les trois jours maximum. Il semblerait que nous ayons enfin une échéance et ça fait tellement de bien. De notre côté, nous, nous nous étions donné l’échéance de lundi, car on avait trop besoin d’une date de fin. On s’était dit que si dimanche soir, on était toujours là, on essaierait de voir si on peut redescendre par nous-mêmes. Du coup, on va attendre jusqu’à lundi soir pour prendre cette décision. Quoi qu’il en soit, ça met du baume au cœur de pouvoir enfin quantifier l’attente devant nous. Même si une petite partie de moi ne peut s’empêcher de douter et de craindre que ce ne soit encore que du vent.
Jour 12 : Samedi 2 Mai – Un D-day révélateur de la nature humaine
Ce matin, je ne sais pas pourquoi mais j’ai le sentiment que c’est aujourd’hui qu’ils vont venir nous chercher. En tout cas c’est, comme hier, l’effervescence au camp. Quasiment tout le monde est monté au champ faisant office d’héliport et y attend dès 8h un hélico. Mais les gens montent groupe par groupe, sans qu’on nous dise clairement pourquoi ils montent si tôt. On finit par apprendre que quelqu’un aurait reçu un coup de fil pour nous prévenir que c’est aujourd’hui qu’on va nous évacuer. On pressent donc que ça va être du chacun pour soit et une belle cohue. Les ordres de passage qu’on avait établi tous ensemble n’auraient-ils pas été vite oubliés ? Lequel va-t-on respecter ? Divise-t-on les groupes comme ça avait été dit par la suite, ou classe-t-on les gens suivant la date de départ de leur avion comme cela avait été suggéré lors de notre premier meeting ?
A 10h, on entend un bruit sourd dans le ciel. La question est : est-ce un gros ou un petit hélico ? Car nous avons besoin nous de plusieurs gros hélico pour évacuer tous les touristes, porteurs et guides. On est maintenant plus de 100 à évacuer. Quand on l’aperçoit, on est tous soulagé car c’est un gros hélico ! Et ça signifie donc qu’ils sont bien venus pour nous chercher.
Quel soulagement ! Nous accourons nous aussi à « l’héliport » et avant même que l’hélico ne se pose, notre guide nous enjoint de le rejoindre. Il semble vouloir qu’on monte à bord, comme quasiment tout le monde. On semble tous faire les autruches et complètement fi des ordres de passage dont on avait parlé. A peine l’hélico posé, plus de 60 personnes l’encerclent. Il doit pouvoir pourtant au mieux prendre entre 20 et 25 personnes. Le pilote n’a pas coupé le moteur. Des vagues de terre nous sont propulsées par les hélices. Mais personne ne recule. Tout le monde veut sa place à bord. J’essaye de me protéger le visage, mais je ne vois plus du tout ce qui se passe. Je n’entends plus que les vrombissements du moteur. C’est la cohue. Je ne sais pas quoi faire. Faut-il qu’on reste avec notre guide qui nous ordonne de le suivre ? Nous devrions pourtant être dans les derniers si on respecte le premier ordre de passage établi. J’avoue que j’ai affreusement envie de monter à bord et peur de me séparer de mon guide. Les hélices tournoient autour de moi et me paraissent trop proche. Je finis par prendre conscience du danger et par avoir peur qu’un accident ne finisse par arriver. Rapidement le pilote panique lui aussi et à juste titre. Il a dû comprendre qu’on était tous complètements fous et tels des chiens affamés. Il nous ordonne de nous reculer et repart à vide. Poussiéreux et honteux, nous nous retrouvons tous interdits face à ce qui vient de se passer, et surtout comme des cons sur le tarmac. L’hélico va-t-il revenir ? Ou a-t-il estimé que la situation était trop dangereuse ? En attendant il nous faut agir et s’organiser. Mais personne ne bouge. Brice et Guillaume, agacés d'avoir été témoin d'une telle pagaille, suggèrent alors au grand tchèque, notre « chef du village », de prendre la parole pour recadrer tout le monde et faire des groupes. Aidé d’un malaisien, ils repartent de l’ordre établi dans les premiers jours, soit des départs par groupe suivant la date des avions de retour. Il n’est pas question de séparer les guides, des porteurs et des touristes. Les groupes ayant des dates de départ les plus proches partiront en premier. Nous estimons que l’hélico a une capacité de 25 places. Nous formons donc 4 lignes distinctes de 25 personnes pour que chacun connaisse l’ordre de passage et dans quel hélico il devrait être. Nous, notre billet de retour est le 17 Mai, nous sommes donc dans le dernier hélico. A ce moment là, même si je sais qu’il est bien et nécessaire d’avoir établi un ordre d’après une règle partagée par tous, je sens que ça va quand même être dur de les voir tous partir et d’autant plus qu’il n’est pas du tout certain que l’hélico ait le temps de faire 4 rotations en une journée.
Quel soulagement ! Nous accourons nous aussi à « l’héliport » et avant même que l’hélico ne se pose, notre guide nous enjoint de le rejoindre. Il semble vouloir qu’on monte à bord, comme quasiment tout le monde. On semble tous faire les autruches et complètement fi des ordres de passage dont on avait parlé. A peine l’hélico posé, plus de 60 personnes l’encerclent. Il doit pouvoir pourtant au mieux prendre entre 20 et 25 personnes. Le pilote n’a pas coupé le moteur. Des vagues de terre nous sont propulsées par les hélices. Mais personne ne recule. Tout le monde veut sa place à bord. J’essaye de me protéger le visage, mais je ne vois plus du tout ce qui se passe. Je n’entends plus que les vrombissements du moteur. C’est la cohue. Je ne sais pas quoi faire. Faut-il qu’on reste avec notre guide qui nous ordonne de le suivre ? Nous devrions pourtant être dans les derniers si on respecte le premier ordre de passage établi. J’avoue que j’ai affreusement envie de monter à bord et peur de me séparer de mon guide. Les hélices tournoient autour de moi et me paraissent trop proche. Je finis par prendre conscience du danger et par avoir peur qu’un accident ne finisse par arriver. Rapidement le pilote panique lui aussi et à juste titre. Il a dû comprendre qu’on était tous complètements fous et tels des chiens affamés. Il nous ordonne de nous reculer et repart à vide. Poussiéreux et honteux, nous nous retrouvons tous interdits face à ce qui vient de se passer, et surtout comme des cons sur le tarmac. L’hélico va-t-il revenir ? Ou a-t-il estimé que la situation était trop dangereuse ? En attendant il nous faut agir et s’organiser. Mais personne ne bouge. Brice et Guillaume, agacés d'avoir été témoin d'une telle pagaille, suggèrent alors au grand tchèque, notre « chef du village », de prendre la parole pour recadrer tout le monde et faire des groupes. Aidé d’un malaisien, ils repartent de l’ordre établi dans les premiers jours, soit des départs par groupe suivant la date des avions de retour. Il n’est pas question de séparer les guides, des porteurs et des touristes. Les groupes ayant des dates de départ les plus proches partiront en premier. Nous estimons que l’hélico a une capacité de 25 places. Nous formons donc 4 lignes distinctes de 25 personnes pour que chacun connaisse l’ordre de passage et dans quel hélico il devrait être. Nous, notre billet de retour est le 17 Mai, nous sommes donc dans le dernier hélico. A ce moment là, même si je sais qu’il est bien et nécessaire d’avoir établi un ordre d’après une règle partagée par tous, je sens que ça va quand même être dur de les voir tous partir et d’autant plus qu’il n’est pas du tout certain que l’hélico ait le temps de faire 4 rotations en une journée.
Après une quinzaine de minutes, l’hélico réapparaît et se pose à nouveau. Il éteint son moteur et l’embarquement se passe étonnamment bien. A la fin par contre, on voit des villageois retenir des guides qui allaient embarquer. Je ne comprends pas ce qui se passe. Ils ont l’air énervés. Une fois l’hélico parti avec 24 personnes à bord, on apprend que si quelques villageois ont eu cette réaction, c’est parce qu’ils veulent qu’on les dédommage pour le champ qui a servi de piste d’atterrissage. Ils demandent 500 roupies (soit 5$) par personne, touristes, guides et porteurs. Même s’il est normal qu’on les dédommage, la manière de faire et le montant demandé nous semble excessif au vue des dégâts causés par l’hélico. Seuls quelques plants sont abîmés. On a alors vraiment l’impression d’être pris en otage et on paye tous de peur qu’ils s’énervent et nous empêchent d’embarquer. On est aussi d’autant plus déçu de leur attitude agressive, qu’on avait depuis le début à cœur de les aider à reconstruire. Nous avions de plus organiser une collecte et récolter plus de 250$ pour le village. Nous n’avions donc pas du tout eu l’impression de nous être comportés comme des touristes égoïstes et aveugles qui ne pensaient qu’à rentrer chez eux. Mais nous ne pouvons pas les blâmer. Si l’incertitude et l’angoisse nous a, nous, tous rendu un peu fou, on peut comprendre que leur situation, qui est beaucoup plus difficile et incertaine que la nôtre, les ait rendu envieux et un peu agressif.
Après deux heures d’attente, un deuxième hélico arrive. Cette fois-ci l’embarquement se passe sans encombre et le pilote n’a même pas besoin d’éteindre son moteur. On est assez fier de nous ! Par contre le grand tchèque et le malaisien qui menaient la danse ont embarqué avec leur groupe, et ont donc repassé la main à Guillaume et Brice pour gérer les deux prochaines rotations. Il est 12h, et si l’hélico revient dans deux heures, il est peut-être possible qu’il puisse faire 4 rotations ! Je reprends espoir de peut-être dormir dans un autre lit ce soir ! Deux heures plus tard, le vent s’est bien levé, il commence à pleuvoir et je grelotte. J’ai l’impression d’entendre un hélico tout le temps. Mais rien n’y fait, c’est dans ma tête car il n’y a rien à l’horizon. On commence à se demander pourquoi il est si long. A 14h30, un des guides reçoit un appel. L’hélico est encore à Katmandou. Il est bloqué à l’héliport, mais on ne sait pas pourquoi. Frigorifiés, on décide d’aller se réfugier dans la guesthouse la plus proche. De toute manière, l’hélico met 45 minutes pour venir de Katmandou. On a donc le temps d’aller manger quelque chose. A 15h, on apprend que l’hélico a enfin pu décoller, mais que ça sera sûrement sa dernière rotation…. L’ambiance se tend. Tout le monde a envie de monter à bord, et notre guide commence à nous faire sentir que ça ne lui convient pas du tout qu’on l’oblige à prendre le 4ème hélico. L’ambiance se tend d’autant plus que le 2ème hélico avait pris 28 personnes, ce qui a déstabilisé les groupes. Dans le 4ème groupe, il n’y a en faite plus que nous trois, notre guide et les 22 porteurs d’un groupe d’australiens qui doivent embarquer eux dans le 3ème hélico. Oui 22 porteurs pour un groupe de 7, ça parait fou, et c’est pourtant vrai. A noter que ces 22 porteurs avaient spontanément proposé d’être dans la dernière vague et avaient conscience qu’ils ne pourraient sûrement pas tous montés à bord. Ils sont très fair-play, contrairement à notre guide. On sent d’ailleurs qu’il risque de nous lâcher et tout faire pour monter dans le 3ème hélico. Il essaye de nous faire craquer en nous faisant peur. D’après lui, demain, l’hélico ne reviendra pas. On sent qu’on va se sentir très seul ce soir s’il nous lâche et si un 4ème hélico ne vient pas nous chercher. Par précaution, nous lui demandons le numéro de l’ambassade de France, afin qu’on puisse les appeler pour leur dire de ne pas nous oublier.
A 15h45 le 3ème hélico arrive. S’il prend à nouveau 28 personnes, il y a une petite chance qu’on puisse embarquer. Enfin si chacun respecte les groupes, ce qui n’est pas gagné. Un peu avant, nous avons demandé à un couple d’allemands d’une quarantaine d’années, avec qui nous avions sympathisé, si ça ne les dérangerait pas d’attendre de savoir si on pourrait embarquer avant de monter à bord, et de laisser leur place à des porteurs le cas échéant. Nous n’avons en effet aucune envie d’être les trois seuls étrangers, et sans guide, à rester une nuit de plus à Lho. Très gentillement ils ont accepté tout de suite. Ce qui nous a d’autant plus touché que ça ne semblait pas avoir ému les autres de nous savoir les derniers étrangers à ne pas pouvoir probablement embarquer ce soir. Lorsque l’hélico se pose, nous sommes en bout de fil et mon cœur se serre. J’ai peu d’espoir de pouvoir embarquer et il est vite anéanti quand j’entends le pilote dire qu’il ne prendra que 24 personnes maximum. Il s’est fait engueulé la fois précédente en ayant pris 28 personnes à bord et n’a pas l’intention de recommencer. Comme prévu, notre guide n’est pas avec nous. Il s’est mis en début de fil. Il embarque donc sans nous. J’ai quand même vu dans ses yeux qu’il n’était pas à l’aise de nous laisser. Juste avant d’embarquer il a fait demi-tour pour nous redonner nos permis d’entrée dans le parc et une carte du Manaslu. Que croit-il, qu’on va redescendre tout seul parce que demain l’hélico ne reviendra pas pour nous ? Quand l’hélico décolle, je ne peux pas m’empêcher de m’effondrer en larmes. Je sais que c’est juste et bien d’avoir respecté l’ordre, et je n'aurais jamais pu passer devant quelqu'un, mais j’aurais tellement aimé partir ce soir. Et surtout j’ai tellement peur que l’hélico ne revienne pas demain. Les allemands sont comme convenu restés avec nous. Comme il restait une place dans l’hélico et qu’on ne voulait pas se séparer, ils ont dit à leur guide de partir. Nous sommes donc redescendus tous les cinq, sans guide, dans note guesthouse qui était maintenant quasiment vide. Nous étions ses cinq derniers clients de la saison. Nous avons immédiatement appelé l’ambassade de France, pour leur dire qu’on n’avait pas pu embarquer et qu’on était encore à Lho. Ils vont voir ce qu’ils peuvent faire pour nous.
Histoire de rendre la situation encore plus glauque, la pluie et l’orage ont ponctué notre soirée. Il faisait encore plus froid que les autres soirs, et nous avons même aperçu quelques flocons. Guillaume, Brice et les allemands avaient le moral. Moi je n’arrivais pas à retenir mes larmes et à masquer ma déception. Ils ont bu une bière et demie pour fêter notre embarcation prochaine. J’ai bu du bout des lèvres avec eux, car le cœur n’y était pas et de toute manière, même à 3100 mètres, je n’aime pas la bière. A cette altitude, l’alcool leur a par contre fait encore plus vite de l’effet et j’enviais leur bonne humeur. Pour ma part, je n’ai vraiment pas réussi à me raisonner et j’ai passé une bonne partie de la nuit à pleurer et à craindre qu’on reste ici plusieurs jours tout seuls. J’étais aussi triste à l’idée que tous les autres étaient à Katmandou, au chaud, et qu’ils ne se demandaient sûrement pas si on avait pu embarquer. C’était quand même chacun pour soi et on a quand même été fair-play. Car s’il fallait un ordre, il n’y avait pas d’ordre juste et il fallait bien des derniers, que personne ne voulait être.
Jour 13 : Dimanche 3 Mai – Notre D-Day
Ce matin je n’ai qu’une hâte, c’est qu’on soit à l’héliport prêt à embarquer. Les garçons prennent leur temps et ça m’énerve. Ils pensent qu’on a le temps, mais on n’en sait fichtre rien. Ce n’est pas parce que le premier hélico est arrivé hier à 10h, que l’hélico respectera aujourd’hui ce timing. Je les presse donc pour qu’ils fassent leur sac, pour qu’on prenne notre petit-déjeuner et paye notre note. Les allemands aussi ne semblent ni pressés ni stressés. Il n’y a que moi qui semble penser que l’hélico peut arriver à tout instant. J’étais pourtant la plus hier à ne pas y croire.
Il est 7h45 et je bouillonne d’impatience. Je regarde machinalement au loin, quand tout d’un coup j’aperçois un hélico que je ne cherchais même pas des yeux pour une fois. J’en suis moi-même complètement surprise, et il faut que j’y regarde à deux fois avant d’y croire et de m’écrier « Hélico ! Hélico ! ». C’est alors la course, car il nous faut quasiment 10 minutes pour rejoindre l’héliport et d’autant plus qu’à cette altitude on s’essouffle plus vite. Tout en courant, on se rend compte que c’est cette fois-ci un petit hélico de 4/5 places. Mais il semble vouloir se poser à Lho. Tout en courant, on lui fait des signes pour qu’il nous aperçoit, mais impossible de savoir s’il nous a vu. A mi-chemin, l’hélico semble s’être posé chez nous, on accélère d’autant plus le pas. Hors d’haleine, nous atteignons l’héliport juste avant qu’il ne redécolle. Le pilote sort et s’écrie alors en français : « Vous êtes français ? C’est l’ambassade de France qui nous envoie vous chercher ». Une vraie scène de film. J’explose alors intérieurement de joie et une fois dans l’hélico je m’effondre à nouveau en pleurs, mais cette fois-ci ce sont des larmes de joie et de soulagement. Le pilote est ému je pense, et me caresse la joue comme à une enfant. S’il savait à quel point je l’ai attendu et espéré !
Dans ce petit hélico de 4/5 places, accompagnés évidemment des allemands dont nous avions signalé hier la présence à l’ambassade de France, nous descendons alors sous un ciel bleu magnifique la vallée du Manaslu, que nous avions gravi à pied une semaine plus tôt. Et cette balade en hélico (une première pour moi) a été magique ! C’était un peu comme une récompense. Après un bon quart d’heure de balade, l’hélico descend dans la vallée, comme s’il avait l’intention de se poser. On est pourtant loin d’être arrivé. Mais l’hélico se pose bien… Le pilote nous demande de sortir et nous dit qu’il doit aller chercher d’autres personnes. On descend sans bien comprendre le sens de la manœuvre, car il n’y a que 4 places dans l’hélico et on était déjà 5. Peut-être qu’un gros hélico va venir nous chercher quand le petit aura centralisé tous les rescapés ? En tout cas, il est peu probable qu’après nous avoir libérés de Lho (3 100 m.), il nous laisse à Jagat (1 340 m) ! Nous attendons donc gaiement. C’était bien aujourd’hui notre D-Day ! Rapidement à cette altitude, il va s’avérer indispensable d’enlever tous nos sous-pulls. Il fait chaud et ça fait du bien !
Après deux rotations et une bonne heure d’attente, nous sommes maintenant une quinzaine de rescapés à attendre la suite. Notre pilote remet de l’essence dans son coucou et s’exclame : « les français et les allemands à bord ! ». Avec les 3 autres français ramenés, leur guide, nous et les deux allemands, ça faisait 9 personnes en tout, sans compter les bagages. On ne comprend pas trop, car on ne voit comment on va tous rentrer. Mais en faite si, ça passe ! Ce n’est pas très réglementaire, mais en virant le copilote, en mettant deux personnes à sa place, en remplaçant les sièges par les bagages et en faisant s’asseoir à l’arrière les dames sur les genoux de ces messieurs et bien on est rentré à 9, sans compter le pilote. Et on a réussit à décoller ! Certes on était tous moins à l’aise pour regarder le paysage, mais faire de l’hélico et en plus dans ces conditions là, c’est carrément inédit.
Après 30 minutes de balade où nous avons eu cette fois-ci une vue imprenable sur la chaîne himalayenne, nous avons atterris à 40 km de Katmandou. Apparemment atterrir à l’héliport de Katmandou implique pas mal de procédures qui retardent le redécollage de l’appareil, et donc les autres rotations. Il est donc plus rentable d’atterrir en dehors, pour que l’hélico puisse redémarrer dès qu’il a refait le plein, soit à peine 10 minutes après l’atterrissage. Là-bas un minibus dépêché par l’ambassade de France nous attendait. A son bord une équipe de choc qui a été aux petits soins pour nous. Ils nous ont accueillis à bras ouvert avec des gâteaux et des bouteilles d’eau, comme si on n’avait pas mangé depuis une semaine. S’ils savaient qu’au contraire on n’avait fait quasiment que ça ces 7 derniers jours ! Il y avait deux fonctionnaires du quai d’Orsay appartenant à la cellule de crise et deux réservistes, une infirmière et un médecin. Ils ont écouté nos récits avec attention et compensation. Et ça m’a fait bêtement du bien de voir sur leurs uniformes des drapeaux français. Mon pays était venu me chercher ! J’étais remplie de fierté et en même temps je réalisais à nouveau à quel point justement j’avais de la chance d’appartenir à un pays riche. Nous nous sommes d’ailleurs fait la réflexion que pendant toute cette semaine, ça semblait normal à tous les touristes que le gouvernement népalais vienne nous chercher (même si par moment on doutait un peu). Mais ce n’était pas le cas des népalais, qui nous voyaient d’ailleurs un peu comme une monnaie d’échange, en se disant que tant qu’il y aurait des touristes, il y aurait une chance que le gouvernement vienne les chercher aussi. Alors que si cette catastrophe était arrivée en France, ça aurait paru aux français comme une évidence que leur gouvernement vienne les chercher au même titre que les touristes.
Après 1h30 de route (les temps de transport sont très longs au Népal en raison de l’état des routes), nous avons rejoint l’ambassade de France. Juste avant d’arriver, un des deux fonctionnaires du quai d’Orsay nous a prévenus qu’il y aurait des journalistes, mais qu’on n’était pas du tout obligé de leur répondre. Incroyable, cette journée était définitivement vraiment incroyable ! Arrivée à l’ambassade, Madame l’Ambassadrice et tous pleins d’autres gens nous ont accueilli en nous offrant leur écoute et à boire. On était comme des grands rescapés et j’avais un peu l’impression de ne pas mériter autant d’attention. Au fond, on était parmi les plus chanceux et ce n’était pas si terrible ce qu’on venait de vivre. En me disant que j’aurais sûrement dans ma vie aucune autre occasion d’être interviewée, je me suis donc lancée. D’abord pour la télé (mais je n’ai pas dû être assez larmoyante) puis pour une journaliste de Libération qui nous a écouté avec attention et qui a très bien retranscrit notre discours, à quelques petits détails près.
En tout cas, je ne me suis jamais autant senti revivre de toute ma vie. J’étais sur un petit nuage, et a posteriori, je me suis demandé si mon sourire ne pourrait pas choquer, au vue de la catastrophe qui venait de se passer. Et puis zut ! Oui j’étais heureuse comme jamais car on venait de me libérer et tant pis si on ne me comprend pas. Moi aussi je suis une rescapée, une rescapée chanceuse mais une rescapée quand même. Et j’ai le droit d’être soulagée et heureuse que tout ça soit fini pour moi. On peut me juger bien sûr, mais il faut l’avoir vécu pour pouvoir se le permettre.
Jour 14 : Reprise d’une vie normale
Nous voici donc maintenant à Katmandou et tout ce qui vient de se passer me semble étrangement proche et lointain.
Nous arpentons de nouveau le quartier de Thamel, le centre de Katmandou, et si à première vue rien n’a changé, l’atmosphère n’est plus la même. De nombreux magasins sont fermés, car beaucoup de touristes sont partis et il va falloir quelques mois avant qu’ils reviennent. Dans les boutiques ouvertes, on ressent maintenant un espoir et un besoin de vendre de la part des vendeurs qui ne donnent pas envie de négocier. Ils savent que la saison va se clôturer avec le départ des volontaires et des derniers touristes rescapés. Ils gardent malgré tout le sourire et très souvent nous demandent si on va bien et où on était pendant le tremblement de terre. J’ai l’impression que cet événement nous rapproche. On ne se connaît pas, on ne parle pas la même langue, mais on a vécu quelque chose qui nous lie malgré tout et je le ressens à chaque regard que je croise.
Tres heureuse que vous soyez de retour et surtout en forme......
RépondreSupprimerBrigitte P.
Merci Bene de nous faire partager tes récits Ton sourire ne peux choquer que des cons ,alors garde le,il est bien réconfortant et utile à tous. Papet Louis
RépondreSupprimerQue d'émotions à la lecture de ce récit ! on réalise le cauchemar que vous avez dû vivre... et les photos parlent d'elles-mêmes ! Honte à ceux qui se permettent des commentaires déplacés, bien planqués derrière leur ordinateur ! vos proches, vos amis, vos collègues sont bien heureux que vous soyez en vie ! bonne continuation à vous et merci de partager votre voyage avec nous ;-)
RépondreSupprimerMerci pour ce récit sincère et authentique. J'ai lu du début à la fin, j'ai pleuré moi aussi derrière mon ordinateur. Je ne crois pas que j'aurai su mieux gérer mon stress et mes émotions que toi. Au final, c'est ton coeur qui a parlé et c'est ça que je trouve beau !
RépondreSupprimerMerci pour ce récit très émouvant, j'en ai eu des frissons !
RépondreSupprimerPrenez soin de vous et remettez vous bien de vos émotions.
Merci pour votre carte qui m'a énormément touchée : elle a été envoyé juste avant votre départ en trek et je l'ai reçu avant de savoir que vous étiez en vie !
A bientôt, Gros bisous
Très beau témoignage, nous avons vécu avec vous, de manière bien différente, mais aussi angoissante, cette semaine pleine de questions sans réponses jusqu'au dénouement de dimanche.
RépondreSupprimerLe premier contacte téléphonique 24 h après le drame, nous a soulagé. Grace au mail de Suzana, nous avons pu te joindre mercredi. L'attente jusqu'à dimanche a été longue.
Quelle aventure, ton récit est juste, se lit comme un roman, mais il est vécu.
Bravo à vous trois, vous êtes nos héros.
Philippe - papa de Béné
merci pour ce récit tellement émouvant, merci pour ce témoignage, ton style est passionnant, je suis fan !!! bravo pour votre courage et ton sourire qui nous fait chaud au coeur, et oui, comme dit Philippe, vous êtes nos héros !
RépondreSupprimeroù êtes vous maintenant ? que faites vous ?
Quel récit ! Confortablement installée chez moi, je lis cette épopée, avec émotions... je comprends que tu sois passée par des hauts et des très bas.
RépondreSupprimerOn comprend ce que vous avez vécu... mais ce ne sont que quelques minutes de lecture contre une attente de plusieurs jours...
Contente de voir que vous avez le sourire, et que vous allez reprendre la route ! mais c'est sûr qu'une telle expérience va vous marquer à vie !!!
J'ai aussi tout lu, mais j'ai vraiment du mal à imaginer toute l'angoisse et l'effroi qui vous a traversé pendant tous ces jours. Et cette notion du temps qui passe, mais qui pour vous, s'est arrêté, c'est une expérience que je n'aimerai vraiment pas faire. Et cette incertitude de l'avenir: quelle solution adoptée: attendre ou marcher ? Je revis le long moment où tu nous as parlé sur Skype comme si on était à tes côtés: quelle joie après tant de moments difficiles. Bonne continuation pour votre tour du monde et bravo pour votre persévérance, votre enthousiasme et le sourire communicatif
RépondreSupprimerChristian, le cousin de la mère de Bénédicte
Quel récit emouvant !! J'espère que vous avez maintenant réussi à retrouver vos esprits. Gros bisous les amis !!!!!
RépondreSupprimermerci de ce récit qui m'a énormément ému
RépondreSupprimerj'étais aussi en chemin avec 8 amis sur le trek du namaslu au moment du séisme
nous avions passé le larke pass la veille et nous étions dans la descente après binthang au sortir de cette belle foret de rhododendrons quand ça a tremblé
la secousse a été probablement moins forte de ce coté du col, mais nous avons eu aussi beaucoup de chance car il y a eu beaucoup d'avalanches autour de nous
nous avion failli faire demi-tour quand nous étions rendu à samdo du fait que deux d'entre nous était très fatigués, ce qui nous aurait situé aux alentours de lho au moment du séisme
nous avons vécu aussi beaucoup de moments angoissants en poursuivant notre descente pendant les jours suivants
notre rapatriement s'est très bien passé grâce à l'ambassade et à l'avion de l'armée de l'air
denis
Bonjour Denis,
SupprimerSoit nous nous connaissons, mais le prénom ne nous est pas suffisant pour deviner qui vous êtes, soit nous nous connaissons pas et nous sommes surpris que vous ayez trouvé ce blog (?).
Nous imaginons que vous avez vécu des moments similaires.
La bonne chose est que vous avez pu au moins finir le trek. --> nous allons devoir revenir pour le faire en entier ;-)
C'est aussi une bonne chose que vous ayez été aussi content du travail de l'ambassade, car il parait qu'une certaine Nathalie a détruit le travail de l'ambassade sur plusieurs plateaux TV...
bonjour,
Supprimernous n'avons effectivement pas eu l'occasion de nous rencontrer et j'ai trouvé votre blog en cherchant à m'informer sur la situation dans les villages que nous avions traversé au cours du trek, et notamment Lho.
j'habite rennes et je faisais ce trek avec 8 autres amis rennais. nous avons été effectivement choqués par les interviews ou articles de personnes qui se plaignaient d'une mauvaise prise en charge. ça nous semblait totalement indécent quand on connait la situation sur place et les désagréments somme toutes bien modérés subis par les "plaignants". c'est le mauvais côté des français !! nous avons fait paraitre un article dans le journal régional (ouest France) pour donner un autre "son de cloche"
Ce sont surtout les répliques qui nous ont causé beaucoup d'angoisse, avec la peur d'un éboulement de rochers, notamment lorsque ça tremblait la nuit. le nouveau séisme qui s'est produit hier vient raviver les mauvais souvenirs et surtout est un nouveau coup dur pour les népalais. j'ai eu hier au téléphone le guide qui nous accompagnait : il me disait ne pas avoir de problème matériel mais vivre dans la peur permanente...
bonne journée et bien amicalement
denis
Récit très touchant qui m'a toute chamboulée lorsque j'ai lu ton article vendredi. J'ai également été très touchée lorsque j'ai reçu ta carte postale lorsque nous étions sans nouvelle de vous. Je pense bien à toi ma petite Béné!
RépondreSupprimerAprès lecture de ces jours que vous avez traversé entre la peur, l'angoisse, l'espoir et la délivrance via un hélicoptère, je ne peux que dire bravo.
RépondreSupprimerBravo pour ce courage malgré ces quelques moments d'angoisse.
Je t'ai lu comme j'aurai pu lire un livre. Un an de tour du monde ne se raconte pas seulement sur un blog, fais un livre à ton retour !!!
A bientôt de suivre vos aventures
Carine C*
C'est un truc de fou ce que vous avez vécu....on ne savait pas que vous étiez au Népal pendant le tremblement de terre...
RépondreSupprimerOn était au Vietnam quand on a appris ce qui s'était passé et ça nous a vraiment fait beaucoup de peine...surtout pour être passé dans ce beau pays quelques mois plus tôt...
En tout cas je suis heureuse de lire que tout c'est bien fini pour vous...
Bonne continuation dans votre voyage!
Estelle
Hello Benedicte ! On ne se connait pas , je faisais partie du groupe de Denis . J ai lu avec emotion votre recit , , ça n a pas ete facile pour vous , cette attente .....L angoisse de devoir subir d autres secousses , comme je vous comprends . Ma lecture de chevet ce sont les sites qui parlent du Nepal , du seisme et de l apres seisme . Et c est en naviguant que je suis tombee sur votre blog . Lors d une soiree avec nos amis trekkeurs Denis avait parle d un blog qu il avait vu et au milieu de ma lecture de ce soir je me suis rejouis d avoir pu vous lire. Les villages que vous avez traverse avant la catastrophe , j avais l impression d y etre. MERCI DE PARTAGER cela , malgre les moments moins sympas. BON VENT A VOUS .
RépondreSupprimerMerci de votre lecture...
RépondreSupprimerJ'avais vingt ans lorsque je suis partie au Népal, j'en ai soixante trois ! Et bien sûr, j'étais triste de tout ce qui s'est passé la bas, j'y étais restée 6 mois, à Katmandou et dans les montagnes, coté Dhaulagiri... Tout cela m'évoquait quelque chose. Il semble que ce que j'ai connu n'existe plus. Vous lire me l'a rendu, un bienfait collatéral, en quelque sorte. Merci... Mimi
content que ça vous ai plus
Supprimerbonne continuation