Après Siem Reap, nous sommes partis en direction de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, à bord d'un confortable VIP bus pour 5$ par personne (wifi et clim inclus !). On l'a encore eu un peu mauvaise d'avoir payé 35$ pour aller de Don Det (Laos) à Siem Reap (cf article - Des 4000 îles (Laos) à Siem Reap (Cambogde) : le trajet de l’arnaque !) - les distances sur ces deux trajets étant grosso modo équivalentes.
Contrairement à la capitale du Laos (Vientiane), Phnom Penh est une ville énorme et sur certains points modernes (voitures de luxe, un magasin Rolls Royce, centre commercial à l'européenne, supermarchés climatisés où on trouve de nombreuses marques occidentales etc.). Certes ces exemples de modernité ne composent qu'une toute petite partie de Phnom Penh, et ils sont réservés à une élite, mais ils existent quand même et ça nous a fait bizarre après le Laos, de retrouver ces signes de modernité à l'occidentale.
Les marchés, les vendeurs de rue tirant leur cuisine ambulante, la circulation déraisonnée (il y a étonnamment peu de feux de circulation et encore moins de passage piéton) nous ont cependant rappelé rapidement qu'on n'était pas à la maison ! Phnom Penh c'est aussi une ville qui grouille de vie et de gens du levée au couchée du soleil, et on a eu dû mal à imaginer qu'il y a tout juste 35 ans, elle retrouvait la vie après 4 années d'abandon.
Pendant la période des Kherms Rouge (1975-1979), Phnom Penh avait en effet été vidé de tous ses habitants : tous les cambodgiens étant réquisitionnés pour assouvir le projet utopique de Pol Pot de faire du Cambodge une nation intégralement autosuffisante et égalitaire. Il fallait donc remplir les campagnes pour être en mesure de produire assez de riz pour tout le monde, et peu importe que vous sachiez ou non cultiver la terre ou construire des digues. Tout le monde devait exécuter les ordres des Kherms rouge et travailler jusqu'à l'épuisement pour quelques grains de riz bouillis. Les écoles ainsi que les hôpitaux ont aussi été fermées. La propriété privée a été abolie. La religion interdite. Tous les cambodgiens éduqués ou ayant des signes extérieurs de richesse trop prononcés emprisonnés. Le pays tout entier a été mis à sac par Pol Pot, qui croyait être en mesure de reconstruire une nation à 100% indépendante. A Phnom Penh, nous avons été transporté à cette époque atroce et horriblement récente, en visitant le musée du S21 (Tuol Sleng) et un des camps d'exécution établis sous la dictature de Pol Pot (Choeung Ek). Ces deux visites nous ont marqué car nous étions sur les lieux mêmes où toutes ces atrocités ont été commises et elles ont mis en lumière ce que nous avions pu apprendre, peut-être trop brièvement, durant nos études.
Le musée du S21 a été établi dans une des 190 anciennes prisons de l'époque des Kherms rouge où tous les "traîtres" supposés étaient entassés sans jugement ni preuve. C'était à la base une école. 20 000 personnes y ont été détenues, 7 seulement en sont officiellement ressorties vivant. Nous avons ainsi parcourus, la gorge nouée, les anciennes salles de classe transformées en salle de torture et cellules d'un mètre carrée. On y a été émus, aux larmes pour ma part, par les centaines et centaines de visage de prisonniers qui y sont maintenant placardés, chaque prisonnier ayant été soigneusement photographié à son arrivée. Nous avons également traversé l'ancienne cours d'école, où les Kherms rouge avaient installé, à l'endroit même où avant des enfants montaient à la corde, une poulie où ils suspendaient par les pieds les prisonniers jusqu'à ce qu'ils perdent connaissance. Ils les réveillaient par la suite en leur plongeant la tête dans des seaux de purin et recommençaient leur interrogatoire interminable. Tout prisonnier était torturé et brutalisé jusqu'à ce qu'il avoue son "crime" envers la nation. La plupart des prisonniers ne savaient pas pourquoi ils avaient été arrêtés, une simple dénonciation ou suspicion suffisait à être la raison de leur arrestation, à la nuit tombée, pour qu'il n'y ait pas de témoin. Après avoir craqué sous la torture et avoué ce que les Kherms rouge voulaient entendre, les prisonniers étaient détenus dans des conditions inhumaines : insalubrité, interdiction de parler et de faire quoi que ce soit sans autorisation etc. Ceux qui ne mourraient pas à cause de ces mauvais traitements, finissaient par être conduits dans un camp d’exécution. Plus les années passaient, plus la paranoïa de Pol Pot augmentait et plus les prisons se sont remplies de traîtres éventuels, dont des Kherms rouge aussi. Il fallait donc faire de la place.... D'où l'établissement secrètement et un peu partout dans le pays de ces camps d'exécution. Ils y emmenaient par camion, la nuit, des prisonniers à qui ils avaient bandé les yeux et fait espérer de meilleurs conditions de détention. A la place ils les emmenaient au bord d'une fausse commune où ils les massacraient avec les moyens du bord (hache, pic, branche de palmier dont la tranche est acérée comme une lame de rasoir), car les balles étaient trop cher.
Nous avons foulé le sol d'un des principaux camps d'exécution qui avait été établi (Choeung Ek), vu les fausses communes, l'arbre contre lequel les Kherms rouge éclataient la tête des enfants. Ils avaient en effet pour principe de tuer toute la famille de tout accusé d'après le principe que "si on ne veut pas que la mauvaise herbe repousse, il faut arracher toutes les racines". Nous avons vu aussi les morceaux de tissus et d'os qui sont recrachés chaque mois par le sol, comme si les blessures de cette barbarie étaient encore béantes. Et nous n'avons eu cesse de nous demander : "mais comment toutes ces horreurs ont-elles été possible ?" Ce camp d'exécution est à quelques kilomètres de Phnom Penh et c'est aujourd'hui un des principaux lieu de commémoration de ce génocide.
En 4 ans, autour de 1,7 millions de personnes périrent du fait des exécutions, de la torture, du travail forcé, des épidémies ou de la famine, ce qui représentait à l'époque plus de 20% de la population. C'est parmi les plus grands génocides* et on se demande comment un peuple a pu ainsi s'auto-massacrer en si peu de temps et si cruellement.
On peut aussi s'étonner du temps qu'il a fallu pour que ces crimes commis par les Kherms rouge soient reconnus et dénoncés par la communauté internationale. En 1979, en pleine guerre froide, le régime de Pol Pot avait en effet été renversé par le Vietnam, alors ennemis des Etats-Unis. Jusqu'en 1998, les Kherms rouge en exil dans la jungle ont ainsi continué à semer la terreur au Cambodge, avec le soutien notamment des Etats-Unis (qui auraient entre 1980 et 1986 soutenus financièrement les Kherms rouge à hauteur de 84,5 millions de dollars). Les Nations Unies également ont longtemps continué à reconnaître la légitimité des Kherms rouge et à condamner "l'invasion vietnamienne" de 1979. Ce n'est qu'en 1994 que le parti de Pol Pot a été décrété hors-la-loi et qu'en 2003 qu'un tribunal spécial, destiné à juger les crimes contre l'humanité commis par les Kherms rouge, a été institué. Seuls quelques dirigeants à date ont été condamnés et depuis seulement quelques années.
*D'après certaines sources le terme de génocide ne serait pas correct, la définition propre d'un génocide étant « des actes commis avec l'intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe racial, ethnique ou religieux ». Certes au Cambodge, ce n'était ni une race, ni une ethnie, ni une religion qui était visé, mais tous les "traîtres" potentiels d'après la folie et paranoïa de Pol Pot. Mais personnellement, je trouve ces questionnements sémantiques une perte de temps inutile et grave car ils ont retardé les procès en cours. Ne vaudrait t-il pas mieux tout simplement mettre à jour la définition du terme de génocide - la folie et l'horreur dont l'être humain est capable étant malheureusement insondable - et avancer ?